par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 3, 21 novembre 2012, 11-25101
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Cour de cassation, 3ème chambre civile
21 novembre 2012, 11-25.101

Cette décision est visée dans la définition :
Sous-traitance




LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le moyen unique :

Vu l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005, ensemble l'article 1382 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 6 juin 2011), que la société Les Balcons du Pic d'Anie, promoteur, a confié la construction d'un immeuble à la société Ferromonte ; que, par deux contrats du 6 février 2008, la société Ferromonte a sous-traité les lots "sols souples" et "peintures" à la société Restoyburu ; que, par avenant du 13 août 2008, la société Ferromonte et la société Restoyburu ont convenu que le sous-traitant serait réglé directement par le maître de l'ouvrage ; que par courrier du 9 octobre 2008, la société Ferromonte a avisé la société Restoyburu du refus du maître de l'ouvrage du paiement direct ; que la société Les Balcons du Pic d'Anie a réglé directement à la société Restoyburu la somme totale de 87 318,29 euros représentant le montant de la première situation et a effectué un troisième versement de 10 325,07 euros, le 5 novembre 2008, au titre de travaux supplémentaires ; que par une décision du 12 novembre 2008, la société Ferromonte a été admise en redressement judiciaire ; que la société Restoyburu a assigné la société Les Balcons du Pic d'Anie en paiement d'un solde dû sur le fondement de l'action directe et à titre subsidiaire sur le fondement de la responsabilité civile du maître de l'ouvrage ;

Attendu que pour débouter la société Restoyburu de sa demande en paiement de dommages-intérêts, l'arrêt retient que la société Les Balcons du Pic d'Anie a mis en demeure la société Ferromonte de fournir un cautionnement bancaire de son sous-traitant et conditionné l'agrément du paiement direct à cette justification, qu'elle en a avisé la société Restoyburu elle-même, qu'en cessant ses règlements au profit du sous-traitant, pour des montants conséquents, il apparaît que le maître de l'ouvrage a pris, à l'encontre de l'entrepreneur principal, les mesures coercitives suffisantes pour le respect des obligations légales et qu'il ne peut lui être reproché aucun manquement à l'obligation de l'article 14-1 de la Loi du 31 décembre 1975, de nature à avoir fait perdre à la société Restoyburu une chance de paiement ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il appartient au maître de l'ouvrage de veiller à l'efficacité des mesures qu'il met en oeuvre pour satisfaire aux obligations mises à sa charge par l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté la société Restoyburu de sa demande en paiement de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 6 juin 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Condamne la société Les Balcons du Pic d'Anie aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Les Balcons du Pic d'Anie à payer à la société Restoyburu la somme de 2 500 euros ; rejette la demande de la société Les Balcons du Pic d'Anie ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un novembre deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils, pour la société Michel Restoyburu

Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté un sous-traitant (la SARL RESTOYBURU) de son action dirigée contre le maître de l'ouvrage (la société LES BALCONS DU PIC D'ANIE) en paiement d'une somme sur le fondement de l'action directe du sous-traitant contre le maître de l'ouvrage et, à titre subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité civile fondée sur les articles 1382 du code civil et 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ;

AUX MOTIFS, sur l'action directe ;

En vertu de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1975, «l'entrepreneur qui entend exécuter un contrat ou un marché en recourant à un ou plusieurs soustraitants doit, au moment de la conclusion et pendant la durée du contrat ou du marché, faire accepter chaque sous-traitant par le maître de l'ouvrage et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l'ouvrage ; l'entrepreneur principal est tenu de communiquer le ou les contrats de sous-traitance au maître de l'ouvrage lorsque celui-ci en fait la demande»,

A défaut d'acceptation et d'agrément des conditions de paiement, le soustraitant ne dispose pas de l'action directe contre le maître de l'ouvrage.
L'acceptation et l'agrément doivent être exprès ou à défaut tacites, dès lors qu'il est justifié d'actes manifestant sans équivoque la volonté du maître de l'ouvrage d'accepter et d'agréer le sous-traitant et les conditions de paiement. La simple connaissance du sous-traitant par le maître de l'ouvrage, ne suffit pas.

En l'espèce, les deux contrats de sous-traitance des lots «peinture» et «sols souples» du 6 février 2008, prévoient expressément en leur article 6.1 que «les sommes dues seront réglées à 60 jours fin de mois par l'entreprise principale». Par ailleurs, le maître de l'ouvrage n'a pas signé les avenants du 13 août 2008, proposant le paiement direct. Dès lors, la SARL RESTOYBURU ne peut se prévaloir d'un agrément exprès des conditions de paiement.

Mais, elle ne peut non plus se prévaloir d'un agrément tacite à défaut de preuve d'actes manifestant la volonté en ce sens du maître de l'ouvrage.

En effet, si la SARL LES BALCONS DU PIC D'ANIE a, suivant courrier du 18 février 2008, accepté le sous-traitant, elle a expressément refusé les conditions de paiement c'est-à-dire le paiement direct. Elle invoquait l'absence de garantie de paiement soit un cautionnement bancaire.

Puis, par courriers des 11 et 18 septembre 2008, la SARL LES BALCONS DU PIC D'ANIE réitérait sa position auprès du maître d'oeuvre, la SARL FERROMONTE, en l'absence, selon elle, des justificatifs suffisamment probant pour lui permettre de vérifier les sommes qu'elle lui avait versées par rapport aux sommes dues au sous-traitant.

Elle a directement avisé le sous-traitant par courrier du 7 octobre 2008, de son refus du paiement direct et des motifs de ce refus soit le défaut de cautionnement bancaire et de justificatifs probant des sommes payées et des sommes dues. Elle précisait également que le paiement du 17 septembre 2008, d'un montant de 50 000 euros, avait été réalisé «pour le compte de Ferromonte», ce que celle-ci a d'ailleurs confirmé, dans son courrier du 09 octobre 2008.

Enfin, il ressort du courrier de la SARL RESTOYBURU du 1er octobre 2010, destiné à la SARL FERROMONTE, sa parfaite connaissance de l'absence d'agrément du paiement direct par le maître de l'ouvrage. En effet par ce courrier, non seulement elle la mettait en demeure de payer mais encore, elle suggérait la mise en place d'un paiement direct par avenant. Et par courrier du 9 octobre 2008, la SARL FERROMONTE l'a informée du refus du maître de l'ouvrage.

L'ensemble de ces courriers constituent donc un faisceau d'indices corroborant parfaitement le défaut d'agrément exprès figurant aux deux conventions initiales, excluant tout agrément tacite du paiement direct par le maître de l'ouvrage. Dès lors le paiement de 37 318,29 euros TTC, effectué par la S.A.R.L les Balcons du Pic d'Anie le 15 octobre 2008, s'inscrit dans le même objectif que le paiement de 50 000 euros le 17 septembre 2008, soit un paiement pour la compte de l'entreprise principale. Quant au paiement de la somme de 10.325,07 euros, sur facture du 5 novembre 2008, la SARL RESTOYBURU reconnaît elle-même qu'il est sans rapport avec le marché mais correspond à des travaux supplémentaires ;

ALORS QUE, en application de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975, le sous-traitant dispose d'une action directe contre le maître de l'ouvrage si l'entrepreneur principal ne paie pas les sommes qui sont dues en vertu du contrat de sous-traitance ; que dès lors que le maître de l'ouvrage avait connaissance de l'existence du contrat de sous-traitance et avait même réglé diverses sommes directement au sous-traitant, ce dernier bénéficiait de l'action directe ; qu'en décidant le contraire au motif que le maître de l'ouvrage n'aurait pas donné son agrément exprès ni même son agrément tacite au paiement direct, la cour a méconnu les dispositions de l'article 12 susvisé de la loi du 31 décembre 1975 ;

et AUX MOTIFS, sur l'action en responsabilité :

En vertu de l'article 14.1 de la loi du 31 décembre 1975, le maître de l'ouvrage professionnel doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies aux articles 3,6 et 5, mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter de ces obligations.

En l'espèce, la SARL LES BALCONS DU PIC D'ANIE a, par son courrier du 18 février 2008, mis en demeure la SARL FERROMONTE de fournir un cautionnement bancaire de son sous-traitant et conditionné l'agrément du paiement direct à cette justification. Elle en a avisé la SARL RESTOYBURU ellemême, par courrier du 7 octobre 2008. Et en cessant ses règlements auprès du maître d'oeuvre au profit du sous-traitant les 17 septembre et 15 octobre 2008, pour des montants conséquents de 50 000 euros et 37 318,29 euros, il apparaît que le maître de l'ouvrage a pris à l'encontre du maître d'oeuvre les mesures coercitives suffisantes pour le respect de cette obligation légale. Dans ces conditions, il ne peut lui être reproché aucun manquement à l'obligation de l'article 14.1 de la loi du 31 décembre 1975, de nature à avoir fait perdre à la SARL RESTOYBURU une chance de paiement.

Par ailleurs, le droit de refuser les conditions de paiement relève du pouvoir discrétionnaire du maître de l'ouvrage qui ne dégénère en abus que s'il est démontré le caractère fallacieux des motifs de refus ou l'intention de nuire au sous-traitant, insuffisamment caractérisé en l'espèce. En effet, le refus était justifié par le défaut de cautionnement bancaire malgré mise en demeure et par l'impossibilité pour le maître de l'ouvrage de procéder à la légitime vérification de l'affectation des sommes réglées à l'entreprise principale, étant entendu qu'il ressort des débats que la SARL LES BALCONS DU PIC D'ANIE avait déjà payé à la SARL FERROMONTE la somme totale de 1.911.829,92 euros au 8 juillet 2008, dont les premières situations des deux contrats de sous-traitance de la SARL RESTOYBURU, comme elle l'indique elle-même dans ses factures du 23 juillet 2008 ;

ALORS QU'en application de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005, il appartient au maître de l'ouvrage, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3 ou à l'article 6 de la loi, de mettre l'entrepreneur principal en demeure de s'acquitter de ces obligations ; qu'en l'espèce, dès lors qu'il avait connaissance de l'intervention du sous-traitant, l'inefficacité des mesures mises en oeuvre par le maître de l'ouvrage caractérisait le manquement de celui-ci à ses obligations ; qu'ainsi, c'est à tort que la cour a estimé qu'il n'avait pas engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du code civil.



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Sous-traitance


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 09/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.